8 mois après le dramatique 7 octobre et la destruction en cours de Gaza, enfin, le 10 juin, une résolution prometteuse du Conseil de sécurité de l’ONU (14 oui dont la Suisse) : elle ordonne un plan de trêve avec un cessez-le-feu renouvelable de 6 semaines, la libération des otages et de prisonniers palestiniens, l’accès humanitaire bien sûr et dans une deuxième phase « le retrait complet des forces israéliennes ». La 3eme phase affirme enfin une vision pour le « day after»: un « grand plan annuel de reconstruction de Gaza », sous l’égide de l’Autorité palestinienne avec un rejet stratégique de « toute modification démographique ou territoriale de la bande de Gaza », tant souhaitée par les sionistes religieux membres du gouvernement israélien. Avec encore un rappel utile: « l’engagement inébranlable » en faveur de la solution à deux Etats.
La mise en œuvre est loin d’être gagnée: si le Président de l’Autorité palestinienne soutient la résolution, Israel et Hamas, après quelques signaux positifs, doivent encore l’accepter dans les 3 phases. M. Netanyahou, affaibli par des divisions de politique intérieure, répète qu’il vise « une guerre totale » jusqu’à la destruction du Hamas, et ce dernier veut le rétablissement total de son contrôle sur Gaza par les armes.
Le silence à Berne
L’ONU a apporté d’autres bonnes nouvelles ces dernières semaines : une écrasante majorité de pays (12 oui au Conseil de sécurité bloqué par le veto US) et 143 oui à l’Assemblée générale) se sont prononcés pour l’admission de l’Etat de Palestine à l’ONU. La Suisse s’est chaque fois abstenue! Avec une position ambigüe, peu comprise: la Suisse est favorable à la solution à deux Etats répète-t-elle, mais cette solution doit être négociée par les deux parties – Israel et Palestine – alors qu’on sait que M. Netanyahou y est opposé, privilégiant la division palestinienne et la colonisation (200’000 colons en l’an 2000, plus de 700’000 aujourd’hui). Seules des pressions internationales et des société civiles de deux côtés peuvent donc faire bouger les lignes. Conséquents et cohérents, quatre pays européens – Espagne, Irlande, Norvège, Slovénie – viennent d’annoncer leur reconnaissance de la Palestine. Sans commentaire du Conseil fédéral.
En Suisse même, rien ne bouge: le Conseil national début juin a nettement refusé un postulat de Fabian Molina (131 contre, 61 oui) demandant la reconnaissance de la Palestine dans les frontières de 1967, M. Cassis estimant que le moment n’était pas venu qu’il fallait d’abord un « paquet de mesures … prévoyant une paix durable et juste dans la région ». Pourtant, dans la guerre en Ukraine, la Suisse a pris l’initiative du Bürgenstock, sans attendre l’avis de toute la communauté internationale ou de la Russie, puissance occupante.
La Juridiction internationale vient aussi de prendre des décisions historiques : la Cour internationale de justice (CIJ) ordonne à Israël d’arrêter immédiatement son offensive militaire, de faciliter l’accès humanitaire et somme aussi le Hamas de libérer les otages du 7 octobre. Et le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) demande de valider des mandats d’arrêts contre M. Netanyahou et des dirigeants du Hamas pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Silence du Conseil fédéral qui s’est limité à répondre au Parlement à l’heure des questions: « la Suisse défend l’indépendance de la CPI ».
« On ne reconnaît plus la Suisse »
Et sur le terrain, appréciée jusqu’ici pour son rôle de paix (Conventions de Genève, bons programmes…), la Suisse, par ses ambiguïtés et ses silences, choque maintenant la société civile israélienne et palestinienne. Son faible soutien à UNRWA, l’ organisation Onusienne pour les refugiés paléstiniens, avec diminution de moitié de sa contribution (10 millions frs au lieu des 20 millions au budget 2024) passemal. Et dans son programme sur place, le DFAE écarte des ONGs dans le domaine des droits humains, longtemps soutenues, y compris à Gaza, avec des programmes de promotion de la femme et critiques envers le Hamas, mais surtout jugées trop critiques envers l’occupation israélienne. Autre déception : l’abandon du soutien en 2022 de l’initiative de Genève, plan de paix de la société civile israélienne et palestinienne que l’on avait contribué à créer en 2003 et qui reprend tout son sens pour le « day after » avec des soutiens allemand, scandinaves, européen, américain, mais sans la Suisse. « On ne reconnait plus la Suisse, l’année des 75 ans des Conventions de Genève piétinées tous les jours à Gaza, vous êtes absents » déplorent des amis palestiniens et israéliens.
Cette situation de guerre, d’insécurité et d’occupation bouche aussi l’avenir de la jeunesse palestinienne formée qui part souvent étudier dans les pays du Golfe, en Europe ou Amérique du Nord avec des rêves de retour souvent balayés. Une illustration: un ami de Gaza, maintenant au Caire, leader reconnu d’une ONG des droits humains, me raconte l’autre jour son parcours paternel : mon fils de 27 ans vient d’être diplomé ingénieur en énergie renouvelable à Berlin avec un emploi stimulant dans le privé et bientôt la nationalité allemande et une vie commune avec une Palestinienne. « Je suis bien sûr fier de la réussite de mon fils à Berlin mais très triste et aussi fâché contre l’occupant, car ce sont justement de telles compétences dont nous avons besoin à Gaza ». Mêmes destins aux USA où beaucoup de jeunes palestiniens font carrière dans la High tech: leur retour contribuerait à développer une véritable « start up régionale » prospère. Bien loin des programmes destructeurs des leaderships religieux israéliens et palestiniens qui s’affaibliront dès que la paix se concrétisera avec une reconnaissance réciproque fondée sur l’Etat de droit et le soutien populaire.
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*Mario Carera est un ex-directeur des programmes de la direction du développement et de la coopération (DDC) en Palestine.
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